REVENGE ★ FEAT. NOAH

Ga Ram ne se rendait que rarement au quartier général. Pas tant par prudence – même si c’était évidemment un facteur à prendre en compte – mais bien davantage parce qu’il n’aimait pas particulièrement l’endroit. Une bâtisse un peu délabrée, coincée entre deux immeubles décrépis. Au moins, c’était inaperçu et ça n’attirait que peu l’attention des curieux. Auparavant, il avait néanmoins l’habitude de s’y rendre une fois la semaine, en général, histoire de recevoir de nouveaux ordres ou pour remettre des rapports. Heureusement, son implication chez Kérés ne nécessitait pas qu’il soit souvent dans le coin. Ses explosifs, il les fabriquait à domicile, dans un laboratoire improvisé. Et le reste du temps, il se rendait dans le bar où il travaillait, respectant scrupuleusement ses horaires.

Mais depuis qu’il avait lâché son emploi, suite à sa rupture avec Soo Mee, Ga Ram passait le plus clair de son temps cloitré chez lui, ou chez Min Guk, en attendant de pouvoir retrouver un emploi de couverture. Et il évitait de plus en plus de se rendre au repère. Il ne tenait pas à croiser Tao ou un tout autre supérieur qui aurait pu lui sonner les cloches. Qui plus est, l’idée d’être la risée de certains de ses semblables ne l’enchantait pas davantage… Même si en soit, il faisait toujours en sorte d’être le plus détaché possible, invoquant le fait qu’une erreur professionnelle pouvait arriver à tout un chacun. Et le fait qu’il ait jusqu’à dès lors fourni un bon travail jouait grandement en sa faveur, lui semblait-il.

Pourtant, ce soir, Ga Ram avait décidé de s’y rendre pour une raison bien précise, comme les deux soirs précédents. Il avait revu Soo Mee, il y a quelques jours. Et s’il lui semblait que les choses s’étaient un peu adoucies entre eux, la brigadière l’avait ramené à l’évidence : c’était bien loin d’être le cas, à vue de sa dernière trahison en date. Le nord-Coréen n’avait pas compris, sur le moment… Mais des explications de la part de la brigadière lui avaient remis les pendules à l’heure : ce dont il était accusé n’était pas de son fait, cette fois. Pas de problème de conscience pour cette fois, donc. Mais une colère attisée envers un collègue. Ce type lui avait toujours un peu semblé… Etrange, de toute façon. Un peu fourbe, même s’il était fort mal placé pour juger. Mais jamais il n’aurait songé que le concerné puisse lui faire un si sale coup. Le jeune homme n’était que rarement remonté contre quelqu’un. Il était généralement maître de ses émotions, et contenir sa colère n’était pas un problème pour lui. Il avait certes parfois besoin d’extérioriser, mais il trouvait toujours un moyen pour sublimer cette violence, pour l’exprimer d’une façon autre que par des coups.

Après une vingtaine de minutes de marche, Ga Ram franchit le seuil d’entrée de la planque. Hier et avant-hier, quand il avait interrogé le gugusse planté devant l’entrée pour faire le guet, on lui avait répondu que Noah n’était pas dans le coin. Probablement habitué à le voir venir toujours avec la même question, le type lui offre un hochement de tête sans que le terroriste n’ait à demander quoi que ce soit. Ga Ram remercie d’un hochement de tête, prêt à fouiller le bâtiment.

Il rejoint une salle où étaient plantés quelques sofas et une table. Dans un coin, il reconnaît Noah, en train d’échanger quelques mots avec un de leur collègue. Ga Ram s’approche, et après avoir attendu que leur conversation ne soit terminée, il interpelle, stoïque, voix plate : « Je peux te parler ? » Il attend une approbation de son vis-à-vis, avant de lui faire signe de le suivre vers la minuscule cours intérieure.

A peine la porte est-elle claquée, le nord-Coréen se retourne vers l’autre. Son poing resserré rencontre violement la pommette gauche de Noah, qui vacille. « Enfoiré ! » vocifère-t-il, foudroyant son vis-à-vis du regard, fulminant de rage.

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Les missions se faisaient de plus en plus rare, et c'était la principale raison pour laquelle Noah s'était rendu au quartier général des terroristes. Il avait besoin de gagner sa vie quoi qu'on en dise, et être terroriste ne résidait pas juste à se tourner les pouces en attendant que ça se passe. Le type qui surveillait l'entrée de la vieille bâtisse se méfiait de lui et pas qu'un peu, puisque la dernière fois qu'il avait eu des ennuis, Noah s'était débrouillé pour qu'il soit celui à reçevoir les conséquences pour sauver sa peau. Du coup, il devait maintenant s'arranger avec un autre des gars qui surveillait l'endroit pour pouvoir passer et entrer dans le quartier général. Bon sang, il était lui aussi un terroriste, mais personne ne le croyait jamais. Enfin, disons qu'ils se méfiaient tous de lui à cause des coups bas dont il était à chaque fois l'auteur.

Lorsqu'il y avait des représailles, les terroristes venaient toujours le chercher lui, parce qu'il était généralement celui qui magouillait dans l'ombre, pendant que tout le monde avait le dos tourné. Noah savait que cela ferait bien longtemps qu'il aurait été viré de l'organisation terroriste si Tao n'était pas là à chaque fois pour lui sauver la peau. C'était étrange à dire, mais plus qu'une relation de maître-disciple, Noah ressentait quelques-fois un sentiment paternel envers celui qui lui apprenait les cordes de l'art qu'était la torture. Parce que Noah avait beau être un génie mentalement, il perdait rapidement son sang-froid à cause de l'excitation, et dans ces cas-là, ses cibles finissaient toujours trop amochées pour que quiconque puisse les reconnaitre. Il était encore en plein apprentissage, un peu comme à l'école. Sauf que là, c'était une école qui avait des manières peu catholiques de gérer les choses.

Une fois qu'il eut réussi à se glisser dans la tanière des loups, Noah longea silencieusement les nombreux canapés ou les terroristes étaient affalés en groupes, pour s'installer dans un sofa vide. Il ne se mêlait jamais aux autres, et pour cause : ces derniers n'avaient pas de bonnes intentions le concernant, s'il en jugeait de par les regards noirs qu'ils lui lançaient de temps à autre. Noah mentirait s'il disait qu'il ne méritait pas d'être traité de cette façon, il l'avait bien cherché après tout, à vendre la peau de ses camarades pour obtenir ce qu'il souhaitait. Le jeune homme était un égoiste-né, c'était indéniable. Et il ne savait pas encore s'il s'arrangeait avec l'âge ou si ça empirait.

Noah passa quelques heures assis là, à contempler ses ongles, ses chaussures, sans jamais regarder les autres terroristes. Les regarder revenait à leur lançer un défi, et dieu seul sait que le terroriste n'était pas fait pour le combat au corps-à-corps, encore moins avec des armes. Il se débrouillait bien avec des lames et des aiguilles parce que la couture était quelque chose qui l'intéressait énormément autrefois, mais sinon, il savait juste engager des joutes verbales avec ses assaillants. Autant dire qu'il était un imposteur chez les terroristes, en quelque sorte.

Alors qu'il était en pleine discussion avec un de ses nombreux informateurs, qui avait des nouvelles croustillantes pour lui, la porte de la bâtisse claqua, et Noah fronça les sourcils en voyant la silhouette de Garam apparaitre. Il ne s'attendait pas à le revoir ici si tôt. Son informateur sembla tressaillir, ce qui n'échappa pas à Noah, et disparut avant que ce dernier n'ait eu le temps de lui demander ce qui se passait. Il releva la tête à la question de Garam, surpris. De quoi pouvait-il bien vouloir lui parler ? Néanmoins, il daigna se lever et le suivre jusqu'à la petite cour intérieure du bâtiment. Noah sut une fois que la porte se ferma derrière eux qu'il avait du souci à se faire, surtout lorsque le poing serré de Garam heurta son visage, le faisant tituber de quelques pas en arrière.

Incrédule, les doigts crispés sur sa joue rouge, Noah fusilla Garam du regard, renvoyant les éclairs de rage que ce dernier lui envoyait. « Je peux savoir c'était pour quoi, ça ? » s'exclama-t-il bruyamment, encore choqué du coup qu'il venait de reçevoir. Il lui manquait encore des pièces du puzzle, trop pour qu'il puisse comprendre ce qui se passait.

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Noah recule de quelques pas sous l’impact du coup, tandis que son vis-à-vis élève sa main pour en masser les jointures. Ga Ram n’était pas habitué à frapper. Lui, il préférait avoir recours aux mots. Et pourtant, il devait bien admettre que coller un pain à Noah l’avait défoulé, le débarrassant d’une partie de la fureur qu’il avait cumulée au cours de ces derniers jours. Ainsi donc, il lui semblait que le « plus gros » était passé, et qu’il ne lui restait plus qu’à réclamer quelques explications, gueulant à tout va si nécessaire… Mais quand l’autre terroriste se retourne vers lui, incrédule, main ramenée sur une pommette endolorie, pour lui demander quelle était la motivation de ce coup, Ga Ram voit rouge. « Tu te fous de moi ? » rugit-il avant de venir empoigner son collègue pour le secouer brusquement. « T’oses me demander ça ? » demande-t-il par pure rhétorique, comme pour s’assurer qu’il avait bien entendu la question qui lui avait été posée. Il finit par relâcher l’encolure de Noah, le poussant en arrière.

Sans cesser de le fusiller du regard, Ga Ram tente de voir à quoi rimait ce petit jeu. A vue du coup que Noah lui avait fait, il n’aurait pas été étonné que ce dernier joue les ingénus. Après tout, il lui semblait bien assez malin pour ça. Et pourtant… A force de dévisager son interlocuteur, et de lui remarquer une mine profondément sceptique, le nord-Coréen en vient à se poser des questions. Peut-être Noah ne voyait-il définitivement pas où il voulait en venir. Et tout compte fait, c’était encore plus agaçant que s’il avait feint l’innocence. Enfin, agaçant n’était peut-être pas le terme exact. Ga Ram était certain que Noah n’avait pas mis ce petit stratagème envers Soo Mee en toute innocence, ou par étourderie. Ca ne lui ressemblait pas, pour ce qu’il connaissait son collègue. De fait, qu’il ait totalement omis ce coup bas lui semblait particulièrement… Odieux, en quelques sortes.

Il soupire, secoue la tête. Avait-il vraiment besoin de rafraîchir la mémoire du sud-Coréen ? Il semblait qu’il n’avait guère d’autre choix, s’il souhaitait avoir des explications. Même si en soit… Il n’était pas certain d’en vouloir. Il ne voyait pas trop quelles motivations avaient pu pousser Noah à agir de la sorte, si ce n’était mettre davantage de bordel dans sa vie. Un amer goût en bouche, le nord-Coréen avait bien l’impression que c’était exactement ce que son collègue avait cherché à faire. Et même s’il n’avait certes que la version des faits de Soo Mee, il n’était pas vraiment prêt à donner le bénéfice du doute à son semblable. « J’ai cru comprendre que t’as fait la connaissance de Soo Mee, il y a quelques jours. » prend-il néanmoins la peine de rappeler, d’un ton sec. « Riche rencontre, j’imagine. » fait-il, lèvres étirées en un sourire faux.

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Noah n'était pas idiot, il avait tout de suite compris ce que Garam lui voulait une fois qu'il avait vu son visage sérieux. Il savait aussi en le suivant jusqu'à la petite cour que leur discussion allait être tout sauf plaisante. C'était la principale raison pour laquelle il jouait les innocents, feignant la surprise pour essayer de se jouer de son interlocuteur. Noah n'était pas un homme taillé pour le combat physique, et dieu seul sait à quel point ce genre de batailles le révulse. Garam n'était normalement pas ce genre de type non plus, mais il semblait que sa fureur avait atteint un point critique, et actuellement, il s'apprêtait à la laisser se déverser sur Noah. Il devait essayer de limiter les dégâts, de sauver sa peau pendant qu'il en était encore temps. Parce que comme tout autre terroriste, Garam était dangereux.  « Mais de quoi tu parle, hein ?! » cria-t-il à nouveau, sa voix devenant plus aiguë au fur et à mesure que le temps passait.

Noah n'avait jamais fait de théâtre dans sa vie, mais il était plus que certain que si il avait essayé, il aurait été un excellent acteur. Changer de masque et d'émotions d'une seconde à une autre était une de ses spécialités cachées, torture mise à part. Jouer avec les autres lui faisait toujours ressentir une sorte de plaisir malsain qui le rendait chaque jour plus vivant, et Noah savait que s'il n'agissait pas de la sorte, il aurait sans doute l'impression d'être mort. Voir ses proies se noyer dans le tourment et la colère était absolument jouissif à ses yeux, surtout lorsque ces dernières finissaient par craquer, et venir le trouver, tout comme Garam aujourd'hui. Il se retint tant bien que mal de sourire en voyant Garam soupirer, le doute s'insinuant déjà dans ses yeux. Il se redressa tout en frottant sa joue douloureuse, qui prenait déjà une sale couleur bleue.  « Soo Mee, Soo Mee...tu veux parler de la brigadière ? » s'enquit-il en fronçant ses sourcils, comme s'il réfléchissait attentivement pour retrouver dans ses souvenirs sa rencontre avec la jeune femme.

Noah s'en rappelait comme si c'était hier. Comment pourrait-il oser oublier l'expression du visage de Soo Mee lorsqu'il était apparu devant elle avec sa lame ressortant de sa manche, son éternel rictus narquois au visage. Cette image était littéralement gravée au fer blanc sur ses paupières, et ses gémissements de douleur lorsqu'il l'avait blessé était sa berceuse lorsqu'il s'endormait chaque soir.  « C'était une mission, Garam. Je ne faisais qu'obéir aux ordres, tu sais. » expliqua-t-il d'un ton nonchalant, en haussant les épaules comme si ce n'était pas quelque chose d'important.  « Pourquoi, je n'aurais pas du la toucher ? Pourquoi tu viens me faire payer quelque chose de juste, effectué au nom des terroristes ? C'est une ennemie, je te rappelle. » ajouta Noah en se reculant à nouveau, pour éviter un quelconque autre coup de la part du terroriste en face de lui. Son sourire menaçait d'étirer ses lèvres vers le haut à tout moment, mais il s'efforçait de garder une expression sérieuse et grave.

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Soit il faisait face à un comédien doué, soit il faisait face à un amnésique. Et cette seconde possibilité, bien qu’elle traverse bel et bien l’esprit de Ga Ram pendant un instant, lui semblait totalement impossible. Pourtant, Noah semblait bien ignorer la raison de la soudaine colère de son vis-à-vis. Etonnant. L’avait-on fait agir de la sorte avec la brigadière sous l’emprise d’une quelconque substance ? L’avait-on lobotomisé, ou quelque chose dans le genre ? Plus le nord-Coréen y réfléchissait, plus l’évidence se dessinait : Noah était brillant pour feindre l’innocence. Quoi qu’il en soit, ça n’avait que peu d’importance à ses yeux. Que le coupable se souvienne ou non de ses actes, la rage qui animait Ga Ram restait inchangée.

Noah semble réfléchir quelques secondes quand Soo Mee est abordée. Ce dernier fronce les sourcils, avant de chercher une confirmation auprès de son collège. « Je suis rassuré, tu n’as donc aucun problème de mémoire. » ironise le nord-Coréen avec amertume, un rictus crispant ses lèvres. Heureusement, Ga Ram n’a pas à ajouter quoi que ce soit, ni même à demander des détails : son collègue se charge lui-même de lui énoncer la situation, avec une nonchalance qui ne fait que raviver l’animosité ressentie de son vis-à-vis. Il n’avait fait que son travail, conformément aux ordres, affirmait-il en haussant les épaules. « Les ordres ? Quels ordres ? » s’enquiert le nord-Coréen, poing serré, ongles s’enfonçant peu à peu dans la chair. « Pas les miens en tout cas, contrairement à ce que tu as pu lui affirmer. » rappelle-t-il. C’était bien là ce qui lui posait le plus de problème : que Noah se soit permis de clamer à la brigadière que cette attaque n’était commanditée par nul autre que le nord-Coréen. Déjà, le principal intéressé aurait eu du mal à ne pas sourciller face à un tel ordre venant de Tao – même si pour lui, il était légitime de s’en prendre à une de ses pires ennemies. Mais qu’on ne vienne pas le rendre responsable de quelque chose dont il ne l’était pas ; et encore moins quand ça avait trait à Soo Mee. « C’est Tao qui t’a commandité ? » interroge-t-il.

Le sud-Coréen semble ensuite tenter de le rappeler à l’ordre : dans leur milieu, s’en prendre à des brigadiers était chose normale. Ga Ram n’aurait pu le nier : il avait parfaitement su le faire pendant des mois. Et prétendre le contraire maintenant, c’était tendre une nouvelle perche à Noah pour que ce dernier ne le mette dans une galère sans nom. « Ce n’est pas le problème. » commence-t-il. Evidemment, la brigadière était une ennemie, officiellement. Et en tant que telle, un sort peu enviable lui était réservé. Mais officieusement… Si, c’était un problème, dans le sens où il refusait que du mal lui soit fait. « Soo Mee est MA cible. » fulmine-t-il. C’était encore la meilleure façon d’affirmer les choses sans se porter préjudice. Ou du moins, sans trop se porter préjudice, étant donné que l’échec de sa mission n’avait pas joué en sa faveur sur cette dite cible.

Noah ne pouvait bien évidemment pas deviner si Garam se laissait actuellement amadouer par sa petite mise en scène. C'était un don qu'il n'avait pas encore appris à maîtriser, à vrai dire, il n'avait aucune idée de comment interpréter les émotions des gens lorsque ces derniers gardaient un visage impassible en toute circonstances. Et concernant Ga Ram, c'était à peu près ce genre de situation : son expression restait toujours la même, et seul son regard décryptait son état intérieur actuel. Et franchement, Noah n'était pas du genre à se perdre dans les yeux de quelqu'un pour comprendre ce qu'ils ressentent. « Les ordres, toujours les ordres...» marmonna-t-il en fourrageant dans sa tignasse blonde, qu'il n'avait aujourd'hui pas teint en noir comme il le faisait d'ordinaire pour ses missions. « Pourquoi est-ce que j'aurais besoin d'un ordre officiel pour réduire les effectifs de l'ennemi ? » s'enquit-il soudainement, l'air ennuyé. Et il l'était, vraiment.

Maintenant, il le voyait, d'ou il se tenait. La façon dont le poing de Ga Ram était serré, les jointures de ses doigts devenant petit à petit blanches comme sa force continuait d'augmenter. Noah était un lâche par nature, et sincèrement, il avait tout sauf envie de se retrouver avec ce poing-là dans sa figure. Du moins, pas une deuxième fois. C'était la raison pour laquelle il s'amusait actuellement à décrire des ronds autour de Ga Ram, comme un chat ferait autour d'une souris. Sauf que là, les rôles s'inversaient, et c'était actuellement la souris qui se moquait du chat en toute impunité. Lorsque Ga Ram le reprit sur le fait qu'il ait menti sur l'origine de cette agression, Noah se surprit à sourire une fois de plus. Ses mains se lièrent autour d'un pilier en pierre, autour duquel il s'accrocha en continuant de parler. « Ah, c'est parce que je lui ai dit que tu étais le grand méchant loup que tu est vexé » Il y avait un rire qui menaçait d'éclore à tout moment dans sa bouche, mais il le retenait du mieux qu'il le pouvait au fond de sa gorge. Il essayait d'être un miminum sérieux, en ce moment-même. « Tao ne m'a rien commandité du tout. Si tu veux tout savoir, je me suis permis d'y aller de mon propre chef. Et si j'ai menti, c'est parce que je savais qu'elle allait avoir la haine envers les terroristes. N'est-ce pas plus drôle quand nos ennemis se perdent dans la rage et la frustration ? Ils deviennent impossibles à contrôler, perdent les pédales, déraillent. » expliqua-t-il d'un ton passionné, ses yeux brillant presque.

C'était sa partie préférée de l'histoire, celle ou le gentil devenait complètement fou à cause de son ennemi. C'était toujours ce qui laissait une chance à l'ennemi en question de vaincre et de réclamer son prix du. « Mh...» Noah se décrocha de son pilier, sautant aisèment sur les vieilles dalles au sol, pour revenir se planter en face de Ga Ram, son doigt tendu et touchant presque la peau entre ses deux yeux. « Je crois que c'est un détail qu'on a oubliés de te raconter, ça. J'ai tendance à picorer à gauche à droite. » Mauvaise manière ou pure ambition, personne n'avait jamais su ce qui le poussait à agir de la sorte. Personne n'avait cherché à l'arrêter non plus, parce que sinon, il se débarassait de ces empêcheurs de tourner en rond avant de recommencer. C'était comme une bête en cage : elle cherche toujours à s'échapper. Et comme un chien rusé, qui ferait encore et encore la même bêtise dans le but de déplaire et de contrarier.

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Ga Ram reste silencieux face à la répartie offerte par son collègue. Il se contente de serrer les dents. Il ne pouvait rien répondre à ça, pour la simple et bonne raison que Noah avait raison. Les terroristes avaient droit à une certaine autonomie et liberté d’action, du moment que ces initiatives servaient la cause de Tao. Et en l’occurrence, s’en prendre à des brigadiers sans prétexte particulier n’était pas contre leur chartre. S’il tentait de reporter cette affaire à l’un de ses supérieurs, Ga Ram savait pertinemment que Noah aurait gain de cause. Et même pire ; on pourrait très bien accuser le nord-Coréen de trahison, à sembler vouloir protéger l’ennemi. Sa rancœur n’en était pas moins présente, au même titre que l’envie de se venger. Tôt ou tard, Noah commettrait une erreur. Et lui, il serait au premier rang pour assister, il se le promettait.

Le terroriste comprend ensuite que le nord-Coréen n’avait pas apprécié que cette initiative soit faite en son nom. Il était dans une véritable impasse. Il avait admis ne pas vouloir être mêlé à cet affaire. Et Noah devait être suffisamment malin pour comprendre que cette conduite cachait quelque chose. Qui plus est, à écouter tout ce que Noah ajoute au sujet de cette histoire, Ga Ram saisit que son collègue avait bien cerné la situation : s’il disait agir au nom du nord-Coréen, Soo Mee serait bien plus heurtée. Et c’était très précisément ce qu’il cherchait. Ga Ram n’était pas tant dérangé par l’état mental de son collègue. Il se doutait que plusieurs personnes impliquées chez Kérés avaient des mœurs… Particulières. Ce qui le dérangeait bien davantage, c’est qu’il en savait définitivement trop à son sujet. Un comble, pour une personne discrète. « Tu as fait un coup de maître. » admet-il sobrement, mais non sans amertume. « Seulement, j’aimerais ne plus être prit en joue par la concernée et risquer à nouveau de perdre une main ou quelques côtes, la prochaine fois. » souligne-t-il, laissant entendre que c’était la brigadière elle-même qui lui avait fait entendre cette douloureuse confrontation avec Noah.

Ga Ram rappelle ensuite qu’il était très possessif, en matière de cible. A ces paroles, son collègue se détache du pilier autour duquel il avait passé ses mains, avant de venir se poster face au nord-Coréen. Il ne faisait pas grand cas de ces choses-là, fait-il comprendre, index braqué au sommet de l’arrête du nez de son vis-à-vis. « Bien. » souffle-t-il, avant d’ajouter sereinement : « J’admire ta conscience professionnelle, vraiment. » Est-ce que ça pardonnait tout et que sa rancune s’était soudainement évanouie. Que nenni. Ga Ram élève soudainement le bras pour venir chasser le poignet de son collègue. « Mais est-ce qu'en fin de compte, tu n'aurais pas tenté de me saboter, Noah ? » demande-t-il d’un ton glacial.

Le terroriste savait pertinemment qu'il avait raison, et que même Ga Ram, avec toute la rage qui l'habitait en ce moment-même, ne pouvait se défendre en toute logique contre sa répartie. Il était présentement celui qui avait le dessus sur l'autre, et connaissant Ga Ram, ce dernier ne devait pas apprécier cela. Le sourire de Noah ne quittait désormais plus ses lèvres, et dans ses yeux dansait une étincelle de pure folie. Ses plans tordus ne foiraient jamais, pas une seule fois quelqu'un avait réussi à le contrecarrer avec la fin de la scène, et si pendant l’entracte ses proies pensaient avoir une chance de pouvoir retourner la situation, elles avaient bien tord. Quoi qu'il arrive, Noah finissait toujours par récupérer la position dominante.

Le fait que le nord-coréen lui-même admette qu'il ait bien joué augmenta sa fierté. Le terroriste adorait entendre de la bouche-même de ses cibles qu'elles avaient été habilement piégées, au lieu de les entendre essayer de nier leur situation. Les regarder se débattre inutilement et parler dans le vent était quelque chose d'affreusement ennuyant à ses yeux. Ga Ram était d'un tout autre calibre, Noah l'avait déjà remarqué, il était de ceux qui savaient s'écraser lorsque tout le mal était déjà fait. Ce n'était pas un terroriste que Noah devait sous-estimer, bien au contraire. Noah comprit que Ga Ram avait eu une confrontation avec la brigadière elle-même par la suite de ses mots. « Eh bien, la prochaine fois, choisis mieux tes relations. » souligna-t-il, parlant aussi bien pour Soo Mee que pour lui-même.

Il n'était pas anodin de trouver des individus...spéciaux, chez les Kérés. C'était même monnaie courante de nos jours, et certains terroristes commençaient même à intéresser de près Noah. Troubles de la personnalité, coutumes étranges, tout était bon à prendre. Tao risquait d'avoir du mal à contrôler une telle foule de malades mentaux tous en même temps. Lorsque Ga Ram chasse son poignet de son bras, Noah s'enfuit à nouveau, en faisant quelques pas en arrière, se détournant délibérément de son interlocuteur. Le ton dur et tranchant utilisé par le nord-coréen fit perdre son sourire au terroriste, qui tourna la tête vers lui, le visage sérieux cette fois-ci. « Si j'ai essayé de te saboter ? Saboter quoi exactement ? Ta relation -oh si particulière avec Soo Mee ? Ou ta place chez les terroristes ? Parce que c'est oui pour l'un et l'autre. » déclara-t-il en toute franchise, les bras désormais croisés sur sa poitrine. Parce que sa relation avec Soo Mee lui retirait son droit d'être chez les Terroristes.

Il avait envie de lui dire de faire un choix, d'arrêter de jouer à ce jeu si dangereux que celui de fréquenter l'ennemi. Parce que quoi qu'il arrive, leur histoire ne marcherait jamais, que ce soit dans un sens ou dans l'autre. Soit la brigadière finirait par se faire attraper par des terroristes encore moins tolérants que lui, soit c'était le terroriste lui-même qui allait finir avec une nouvelle peine capitale sur le dos. Et cette fois-ci, il n'y aurait pas de cachette, personne pour l'aider. Parce que Tao serait obligé de trancher et de prendre une décision les concernant, et ça n'ira certainement pas dans le sens qu'ils le veuillent. Le regard de Noah s'adoucit l'espace de quelques instants, et sa bouche s'ouvrit pour laisser couler des mots empreints de vérité. « Je me demande si tu savais dans quoi tu t'embarquais en faisant ça. » Il accentua bien le mot ça, pour désigner sa relation avec Soo Mee. Puis, son regard redevint le même qu'à l'habitude, et un rire amer lui échappa. « Ose me regarder dans les yeux, et me dire que tu ne lui as pas promis de se venger. » Ses yeux rivés à ceux du nord-coréen, il revint se planter en face de lui. « Tu comprends pourquoi j'ai fait ça maintenant ? J'aurais du le faire tôt ou tard. Parce que si je ne l'avais pas fait, tu aurais été le premier à me trahir. Devrais-je dire, nous trahir. » Noah prenait les responsabilités de son acte. Ga Ram aurait-il assumé, lui, de vendre ses propres confrères à l'ennemi ?

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Choisis mieux tes relations, lui suggère l’autre. Cette réponse attise à Ga Ram un petit sourire agacé. Il était lui-même revenu vers Soo Mee, c’était vrai. Mais ce n’était pas lui qui avait lancé la machine pour la rencontrer, à l’origine. Une vieille histoire de rancune, pour ce qu’il avait cru comprendre. Il n’avait pas vraiment cherché pourquoi le gourou l’avait commandité sur cette affaire-là. Et quand bien même il avait essayé de tâter un peu le terrain, il n’avait jamais obtenu de raison claire. Maintenant, il ne cherchait plus à comprendre. En revanche, pour ce qui était de Noah… Non, là, il ne pouvait effectivement rien dire. Il s’était de lui-même jeté dans la gueule du loup, sans vraiment voir venir.

Tout en venant chasser le poignet face à son visage, Ga Ram s’enquiert de savoir si Noah cherchait à le saboter. La formulation était certes nébuleuse… Mais le terroriste verrait probablement là où il voulait en venir. D’ailleurs, le concerné se fait plus sérieux après avoir reculé de quelques pas. Il a l’honnêteté de ne pas nier, au moins. Ga Ram fronce doucement les sourcils. En un sens, il était logique qu’il souhaite saboter sa relation avec Soo Mee. Question de prudence vis-à-vis de Kérés, probablement. « Ma place chez Kérés aussi ? Et pour quelle raison ? » cherche-t-il néanmoins à comprendre. Ça, ce n’était pas nécessairement logique. « Tao n’a pas besoin de raisons supplémentaires pour me chasser, vu mon échec. S’il ne l’a pas fait, il a ses raisons. Alors à quoi bon ? » Pour le reste, c’était à lui de voir. Il avait longuement discuté avec la brigadière de la suite des événements, et c’était chose qui ne les regardait que tous les deux.

C’est Noah qui vient à nouveau rompre le silence. « Il faut croire que non. » répond Ga Ram en toute honnêteté. Non, il ne s’attendait pas à ce que cette histoire aille aussi loin, effectivement. Le rire échappé des lèvres de Noah vaut à ce dernier un regard amer. Le nord-Coréen reste silencieux une courte seconde quand ce qui semble être une provocation lui est lancée. Il vient à son tour planter son regard dans celui de son vis-à-vis, pour répondre avec amertume : « Tu aurais aimé que je te donne raison. » En toute logique, Noah ayant avoué qu’il cherchait à porter atteinte à sa place chez Kérés. « Et quand bien même ça serait le cas, je ne le ferai pas. Je ne suis pas assez stupide pour porter à nouveau préjudice à ma place ici. » ajoute-t-il. Le sud-Coréen ajoute encore quelques mots, plaquant une nouvelle évidence sous le nez de son vis-à-vis : il avait agi ainsi dans l’intérêt communautaire. Une fois encore, Ga Ram ne pouvait pas nier tout en restant safe et cohérent. En revanche, donner pleinement raison à Noah et ravaler toute sa rancune ne serait pas logique, vu ses propos précédents. Autant s’avouer vaincu pour cette fois-ci, en somme. « Bien. Merci, dans ce cas. » dit-il avec un sourire acerbe.

Hors Jeu:

Tao se trompait, songea subitement le terroriste, tandis qu'un bref instant de silence tombait sur le duo. Le chef des Kérés continuait à vouloir de Ga Ram de son coté, dans les rangs de l'organisation terroriste, alors qu'il savait à propos de sa relation avec la brigadière. Le savait-il au moins ? Noah n'en avait aucune idée. Tao n'était pas du genre à discuter de la pluie et du beau temps avec les trônes qui constituaient l'organisation terroriste, et essayer de déchiffrer sa façon de penser rien qu'en contemplant son visage était peine perdue. Un masque de chair, un visage de pierre.

Mais Noah avait ses doutes concernant la plus haute tête des méchants de l'histoire. Non seulement à cause de l'histoire avec Ga Ram, mais aussi à cause du fait qu'il soit très concerné par l'état de santé de Yue, une autre terroriste à qui Noah en avait déjà fait voir des vertes et des pas mûres. Il avait été sévèrement puni pour avoir osé lever la main sur elle, récompensé avec une mission des plus ennuyantes possible. Noah mentirait s'il disait qu'il n'en voulait pas à Tao d'avoir agi de la sorte. Le terroriste avait bêtement cru qu'ils étaient de la même espèce, deux monstres sans maisons, qui détruisaient l'amour autour d'eux parce qu'ils étaient incapables d'en recevoir un à sa juste valeur. Mais avec le temps, Noah se rendait compte de la distance qui séparait Tao de lui. Et ça le rongeait intérieurement.

Ga Ram sembla surpris par la révélation de Noah concernant sa place chez les terroristes. Le regard de Noah dériva à nouveau, sur le sol, le plafond même, tout sauf le "camarade" en face de lui. « Comme j'ai dit pour mon altercation avec Soo Mee...ais-je besoin d'une raison ? » Noah révélait sa nature à Ga Ram, parce qu'il n'avait pas encore tout à fait deviné quel genre d'homme il était. Pour qu'il sache se méfier de lui à l'avenir, qu'il essaie de préserver ce qu'il avait d'important en ce monde. Parce que Noah n'hésiterait pas à remettre la main dessus, et cette fois-là, il ira droit au but, sans se soucier des conséquences. « Et Tao n'est pas moi. C'est peut-être le grand chef des Kérés, mais j'ai ma propre volonté. » ajouta Noah d'une voix grave.

Si au début, Noah suivait Tao presque aveuglément, parce qu'il avait encore peur de sa propre agressivité et de son état d'esprit, aujourd'hui, il avait appris à ne pas craindre la folie qui sommeillait en lui. Parce qu'elle l'aidait à dépasser ses limites, à viser juste lorsque sa vision des choses devenait floue. Il croyait que c'était la même folie qui habitait Tao, mais il se rendait compte qu'il avait tort. Lorsque Ga Ram lui répond négativement quand à l'étendue de cette affaire, Noah ne peut que secouer la tête de droite à gauche. « Et moi qui te croyait prudent. Tu est en train de changer, Ga Ram. Et ce n'est pas pour le meilleur. » asséna-t-il d'une voix autoritaire, reculant pour s'éloigner. Ses yeux plongés dans ceux du nord-coréen, Noah essayait de deviner le mensonge dans ce qu'il lui disait. Parce qu'il était persuadé que Ga Ram avait promis la vengeance à sa belle. Parce que c'est toujours comme ça que ça se terminait, Noah avait déjà eu l'occasion de le constater, et ce plus d'une fois au cours de sa vie.


« Vraiment ? On verra ça. » Sur ces mots énigmatiques, Noah retourna à la porte de sortie. Il n'avait plus rien à tirer de cette discussion, si ce n'est persuader Ga Ram d'en finir avec lui tant qu'il l'avait encore sous la main. Et sincèrement, ce n'était pas son objectif de mourir aujourd'hui, et certainement pas ici. Il avait encore bien trop de projets pour se laisser exécuter de la sorte. Le merci amer du terroriste l'arrêta cependant dans ses pas. C'était un remerciement ironique, et cela aurait du apporter le remords chez Noah. Mais il ne connaissait pas ce mot-là, il l'avait banni de son vocabulaire il y a bien longtemps. Il se retourna une dernière fois, vers son frère dont les épaules semblaient s'être considérablement baissées, comme sous le poids de quelque chose. Et l'espace d'un instant, Noah se surprit à avoir pitié de lui. « La prochaine fois...je ne serais pas aussi clément. Alors reste sur tes gardes, toi comme elle. Je ne suis pas le seul qui doit voir ta relation particulière d'un mauvais œil. Roméo et Juliette, tu sais ? » plaisanta le terroriste, avant de disparaître derrière la porte. Leur prochaine rencontre serait peut-être la dernière, qui sait.

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