Ga Ram n’était qu’un barman sans histoire. Il n’avait quitté son Incheon natale que depuis peu. L’envie de changer d’air, découvrir de nouveaux horizons, de nouvelles personnes. Le désir de prendre un peu ses distances avec sa famille, aussi. Il aimait beaucoup sa famille, là n’était pas le problème. Mais comme ses deux frères aînés l’avaient fait avant lui, le jeune homme avait à son tour prit son envol pour découvrir l’indépendance.

Depuis son arrivée à Séoul, il appelait fréquemment ses parents et ses aînés pour prendre et donner des nouvelles. Aller leur rendre visite un de ces jours lui semblait être une riche idée. Un an qu’il avait quitté la ville portuaire, un an qu’il n’y était pas revenu. Il se laissait parfois surprendre à quelques instants de nostalgie, quoi qu’ils ne durent jamais très longtemps. Ga Ram ne regrettait pas son déménagement, et pour rien au monde il ne s’installerait à nouveau à Incheon pour retrouver sa vie d’antan. L’indépendance avait du bon, et sa vie actuelle le ravissait en tout point.

Il n’avait pas tardé à trouver un emploi dans un bar du centre de Séoul. C’était là-bas qu’il avait rencontré Soo Mee. Elle lui avait appris qu’elle travaillait à la brigade anti-terrorisme, en tant que capitaine. Cet emploi semblait éprouvant, sous bien des angles, et Ga Ram ne pouvait qu’imaginer les horreurs auxquelles la jeune femme devait faire face au jour le jour. Les prises d’otage. Les attentats. Le chantage. Le mensonge.

Après avoir longuement discuté, ils avaient échangé leurs numéros. Par la suite, ils s’étaient revus à plusieurs reprises. Quand bien même Ga Ram ne pouvait nier que Soo Mee l’intéressait de plus en plus, il ne voulait pas brusquer les choses. Prendre son temps pour mettre la jeune femme en confiance. Elle avait toutes les raisons du monde de se méfier, à vue de ce qu’elle endurait au jour le jour. Et quand la brigadière se mit à être un peu plus distante, le jeune homme se demanda s’il n’avait pas fait un faux pas, quelque part. Elle donnait de moins en moins de nouvelles, ne prenait plus les devants. Par peur de faire une gaffe, Ga Ram ne s’était pas montré très insistant, malgré ses doutes et ses craintes.

Cette tension le mena pourtant à refaire un pas en avant. Un soir, un coup de tête. Il avait quitté son appartement pour rejoindre l’adresse de la brigadière. Ils devaient discuter, mettre les choses à plat, dire où le problème se situait. Le jeune homme fut témoin d’une agression. Constant que Soo Mee n’était autre que l’agressée, il avait tenté de s’interposer. La chance jouant en sa faveur, l’inconnu – un terroriste, probablement, avait pris la fuite.

Toute réticente soit-elle à le voir, Soo Mee accepta pourtant d’expliquer les choses au barman. Elle savait que son travail exposait ses proches à des risques. Elle ne souhaitait pas que Ga Ram y soit confronté. Ironie du sort : s’il n’avait pas été là ce soir, c’est elle qui aurait été en danger. Être exposé aux risques ne l’effrayait pas : quelque part, il était convaincu que rien ne lui arriverait. Et quand bien même ces risques étaient réels, il ne voulait pas qu’ils soient prétexte à un éloignement entre eux deux.

Soo Mee avait fini par capituler. Et comme Ga Ram l’avait annoncé, il ne fut jamais exposé au moindre danger. Abandonnant au fur et à mesure son propre appartement, le jeune homme passait souvent la soirée chez sa belle, se faisait oreille attentive à ses problèmes de travail. Et ce, quand bien même son amante se mettait à émettre quelques soupçons envers lui. Tout blessé soit-il par ces hypothèses, il savait qu’il n’avait rien à se reprocher. Quelques papiers, des preuves tangibles rendant son innocence implacable. La jeune femme devait être stressée. La brigade patinait à trouver des coupables. Aussi Ga Ram restait-il patient, songeant qu’il était légitime que Soo Mee se mette à émettre des soupçons partout. Les bougres demeuraient insalissables.

Une après-midi, vers treize heures passées, l’écho du loquet de la porte avait résonné dans le couloir. Ga Ram s’était levé précipitamment, avant de récupérer le sac abandonné au pied de la table de chevet. Il n’avait plus de temps. Soo Mee l’avait rejoint.

Un coup de feu. Un mur maculé de sang. On dirait presque une peinture abstraite. Des larmes de douleur à la foi sourde et vive. Le rideau se lève. Fin.

Ga Ram semble léger. Il papote, évite les sujets fâcheux, plaisante, taquine, sourire aux lèvres. Sociable. Pas de problème pour aborder, et encore moins pour tenir une conversation. Découvrir les autres, c’est son truc. Il a la fibre communicative. Est très curieux. Il a toujours une question pendue au bout des lèvres, une avidité qui demande à être assouvie. Aucun sujet ne lui fait peur. L’ouverture d’esprit, ça le connaît. Il n’a pas de tabou, ou que très peu. Et quand bien même il y en a, les outrepasser ne le dérange pas, si la personne en face est prête à le suivre.

Son intérêt pour quelqu’un ou quelque chose n’est jamais gratuit, pourtant. Insouciant et naïf. Il peut sembler l’être. Et il en joue. Pourtant, Ga Ram en est bien loin. Toujours calculateur et intéressé, sa curiosité n’est que rarement gratuite. Ou du moins, c’est quand sa conversation est intéressée qu’il se sent le plus… Vivant, en somme. Avoir un objectif, se heurter aux difficultés, mais réussir à l’atteindre. Le jeune homme aime se poser des défis et les atteindre. Jouer avec le feu ne lui fait pas peur.

Tout sociable soit-il, Ga Ram n’est pourtant pas un exubérant. Au contraire. Il sait se faire remarquer, mais reste souvent discret. A beaucoup interroger les autres, il reste très secret à son sujet. Quelques mots sont soufflés, une histoire montée de toutes pièces qu’il sort à qui veut bien l’entendre. Il sait mentir et rester cohérent. Ou tout du moins, il a appris à le faire.

Bon vivant, appréciateur du contact des autres et de l’exposition au danger, en somme. Suite à de récents événements, le jeune homme a pourtant dû apprendre à se terrer, à disparaître pleinement de la circulation. Il n’a pas le choix. Il n’a plus le choix, et ça le rend dingue.

Prétendu barman originaire d’Incheon qui a disparu de la circulation depuis peu, Ga Ram est en réalité un terroriste impliqué chez Kérés. Probablement pas par conviction propre… Mais il est issu d’une famille nord-coréenne très fervente du régime de Pyongyang. Ses deux frères aînés ayant rejoint les rangs de l’armée de Kim Jong Un, Ga Ram était quant à lui destiné à reprendre les rênes de l’affaire familiale. Une fabrique de feux d’artifice. Fils d’un artisan dans le domaine et d’une professeur, Ga Ram excelle dans le domaine de la chimie, passion qui lui vient de sa mère, sublimée par le travail de son père.

Pourtant, quand la Corée du Nord a décidé de s’aligner aux côtés d’autres états asiatiques pour contrer la puissance sud-coréenne, les parents de Ga Ram ont dû revoir leurs plans pour leur fils. Ga Ram a finalement été envoyé au front, à Séoul, mettant au profit de Kérés ses connaissances en matière d’explosifs.

A défaut que ce talent puisse être utilisé tous les jours, il s’est vu confié une autre mission : approcher Baek Soo Mee, une brigadière, afin de lui délier la langue quant aux affaires de la brigade. Si cette mission a été effective pendant un moment, elle a tourné au vinaigre il y a peu, quand la jeune femme a découvert le pot aux roses.