C’était une mauvaise journée. Pas si atroce ou détraquée que ça mais mauvaise assurément. Le genre de journée que Rei Mei rêvait de voir se terminer vite. Sauf que non bien sur. Elle n’était pas prête de se terminer vu que la soirée venait à peine de commencer. A peine. Et qui disait début de soirée disait prostitution. Ça ne dérangeait pas Rei Mei de vendre son corps chaque nuit ou presque pour une poignée de Won qui serait aussitôt entre les mains du propriétaire de l’immeuble dans lequel il logeait ou encore entre les mains de son maquereau. Non ça ne le dérangeait pas. Il était passé au dessus des outrages de la honte ou des remords. Tout ça était bien loin à présent. Très loin quelque part à Hong Kong dans cette cité du vice et de la nuit. Il avait oublié tout ça. Maintenant il n’avait plus que du désintérêt pour la chose. Le corps et l’âme n’avait rien à voir. De toute façon vu qu’il était tordu et bon pour la casse que son corps ait subi tant d’outrages ne changeait pas grand chose. Il était bon pour l’enfer si tout ça existait bien sur.
Sans partir dans le blasphème si il y avait un Dieu sur terre, le paradis ou quelque chose alors pourquoi avec tous les crimes qu’il avait fait n’avait-il donc pas été puni ? Ça manquait cruellement de sens. De toute façon dans ce genre d’ambiance, d’environnement il était de plus en plus difficile de croire à une quelconque religion. Être en paix avec soi-même était déjà un bon début. Et Rei Mei était en paix avec lui-même autant su il le pouvait. Il savait ce qu’il était, ce qu’il
valait et ce que l’humanité ne valait pas. Elle ne valait pas grand chose. Incapable de s’occuper d’un gamin qui ne demandait qu’un peu d’amour, incapable de voir qui était ceux qui tendaient la main dans l’espoir d’avoir un peu d’aide. Bonne à jeter et lui avec. Que de temps perdu. Trop de temps perdu. Tellement que s’en était affligeant. A tel point qu’il s’était décidé à récupérer tout ce temps. A sa façon sans être un justicier, avec sa propre existence et son propre jugement au milieu. De toute façon les héros ne tuaient pas. Et le monde n’avait pas besoin de héros mais plus d’une épuration. Et Rei Mei se portait volontaire.
Et Dieu qu’aujourd’hui il aurait voulu être loin de cette ruelle fréquentée d’Itaewon. Dans une petite ruelle à régler son compte, à récupérer le temps de ce businessman qui l’avait regardé de travers alors qu'il n’avait fait que lui proposé un peu de bon temps.
Tout n’ėtait qu’une histoire de temps après tout. Mais non il était dans les rues totalement découvert alors qu’il ne faisait pas si chaud pour un mois d’avril à sourire à des gens bien plus tordu et détraqué que lui. Même si dans le fond il devait quand même sacrément tordu pour s’offrir à des pervers ou des gens en manque d’amour et de chaleur. Totalement et tout bonnement détraqué. Mais pas autant que certains qui se payaient ses services, pas autant que son maquereau qui malmenait ces filles pour qu’elles soient plus aguicheuses qu’elles rapportent plus. Toujours plus. Mais cet homme laissait plus ou moins Rei Mei tranquille.
Il faut dire qu’à son arrivée en Corée alors qu’il avait tellement de mal à se trouver un toit pour dormir et qu’il avait utilisé tout l’argent qui lui restait dans un petit hôtel sordide, il avait été repéré par les hommes de main du maquereau ceux qui surveillaient le quartier et vérifiaient que les prostitués étaient tous à leur place. On l’avait emmené devant cet homme qui l’avait détaillé de haut en bas voyant en lui une mine d’or inestimable. Malheureusement pour lui Rei Mei n’était pas du genre à ce faire exploiter et une discussion sanglante avec lui, l’avait convaincu de le laisser libre de ses gestes et surtout libre. Non enchaîné. La seule autorité qu’il acceptait au dessus de sa tête était Kérès et encore. Non Rei Mei n’avait pas à se plaindre. A peine un dixième de ce qu’il gagnait finissait dans la poche du chef de ce réseau de nuit et il payait simplement une taxe pour pouvoir travailler dans le quartier voilà tout.
De toute façon il y avait des soirs où Rei Mei n’aurait pas pu payer l’homme. Des soirs comme celui-ci. Les temps étaient durs et le fait qu’on ait retrouvé le cadavre de son ancien amant, son œuvre, dans une des grandes rues marchandes du quartier n’avait pas aidé. Il fallait s’en douter qu’il n’y aurait pas grand monde au soir. De plus Rei Mei était un garçon, très joli certes, mais un garçon tout de même. Et c’était souvent difficile de plaire à tout le monde même en étant aussi efféminé que lui. Mais qu’importe il était fier de son œuvre. Fier de ce cadavre aux yeux crevés qu’on avait retrouvé, de cet homme sans vie avec un trou béant à la place du cœur et une jolie horloge gravée autour de ce trou. Il avait récupéré son temps à ce traitre alors tant pis si ce soir il n’avait personne.
Un raclement de gorge suivi d’un
« Bonsoir Rei Mei » l’interrompit dans ses pensées et il se retourna, les boucles rousses de sa perruque encadrant son visage volèrent légèrement quant au mouvement. Un sourire éclaira ses lèvres finement rosées en reconnaissant la personne qui venait de l’interpeller. Sae Ra. La jeune et jolie Sae Ra. Si douce, si gentille, si innocente. Il était incapable de lui faire du mal. Pourquoi lui en faire d’ailleurs vu qu’elle lui donnait toujours toute son attention lorsqu’elles se rencontraient. Oui elles. La jeune académicienne était persuadée qu’il était une fille et il n’avait pas cœur de la décevoir. Et puis cela faisait une sûreté en plus de son côté. Personne ne pourrait relier le
White Rabbit de Kérès ou encore l’assassin qui courrait dans les rues ces derniers temps avec Rei Mei la prostituée étrangère avec un joli accent chantant et des manières. Non personne. C’était comme un de doublement de personnalité sauf qu’ici tout n’était qu’une histoire de masque. Et il semblait que ce soir elle était la douce Rei Mei désenchantée de la vie mais faisant comme-ci ça ne l’atteignait pas ce qui était malheureusement le cas.
« Je ne te dérange pas trop ? Continua la jeune femme arrachant un sourire à Rei Mei, celle-ci refermant les pans de sa veste longue noire autour de sa frêle silhouette. Il faut dire qu’il ne faisait pas chaud et ce n’était pas avec un mini-short laissant voir les attaches de son porte-jarretelles et un haut tout aussi sombre ridiculement court laissant voir son nombril qu’il allait se réchauffer.
- Ce n’est pas une bonne soirée aujourd'hui. murmura-t-elle en guise de réponse en montrant d’un signe la rue assez vide. Sa voix avait toujours cette accent chantant dû à ses origines et si Rei Mei murmurait ce n’était pas pour autant qu’il avait une voix grave. Non même en parlant normalement on arrivait à le prendre pour une fille.
– Mais toi Sae Ra pourquoi es-tu là ? c’est ... Dangereux. »Mais où était le danger ?
Sans doute bien trop près.
Juste apprivoisé pour ce soir.
Comme la bête sauvage qu’était Rei Mei.