JE NE DIRAI RIEN ★ FEAT. LULI

Lunettes posées sur le nez, Do Jin avait le regard rivé sur un comic aux pages usées, cornées pour certaines. Il avait déjà lu ce volume une bonne cinquantaine de fois. Et pourtant, c’était à chaque fois une agréable surprise de redécouvrir la perspective, la vivacité des couleurs, l’altération des traits fins et épais. Mais les choses étaient un peu différentes, cette fois-ci. Il ne s’intéressait pas temps à la trame de l’histoire couchée sur le papier, mais bien davantage à celle d’une scène qui se déroulait juste sous ses yeux, à quelques mètres de là. Une jeune femme, l’air ennuyé, soupirant à tout va au flux incessant de paroles d’un illustre inconnu. Do Jin contemplait la scène d’un air mi amusé, mi circonspect. De toute évidence, Luli n’était pas là pour le plaisir. Elle semblait prompte à écouter un court instant, sans pour autant vouloir s’attarder, oscillant entre ennui et inquiétude. Sa patience ne tarda pas à rencontrer ses limites : la Chinoise salua rapidement l’inopportun avant de se retirer d’un pas pressé. De son côté, Do Jin en revint à sa lecture, plongeant son regard sur les pages de sa bande dessinée, tout en gardant un coin de l’œil sur la jeune femme. Quand elle fut assez éloignée, il fit mine de regarder sa montre, feignant l’air embêté de celui qui allait être en retard. Le volume corné fut rangé fissa dans une sacoche, avant que le jeune homme ne quitte sa table sur laquelle il abandonna une tasse encore à moitié pleine de café, retraçant les pas de la jeune femme.

C’était une étrange coïncidence qu’il l’aperçoive dans les environs. Do Jin était censé rentrer chez lui quand il avait vu Luli longer les murs pour retrouver l’homme avec qui elle parlait, quelques minutes auparavant. Il avait décidé de s’arrêter pour observer la scène, avant de lui mettre le grappin dessus. Et visiblement, la jeune femme avait réalisé qu’elle était filée. Elle se retourna soudainement, main serrée sur ce qui semblait être un spray à poivre. Instinctivement, Do Jin recula d’un pas. Elle lui ordonna de la laisser tranquille. Elle n’avait pas le temps de parler. Peu importe, le jeune homme tenta tout de même une approche. « T’en fais pas, t’as plus besoin de prendre la fuite de l’autre type. » dit-il avec un sourire qui se voulait le plus rassurant possible. « Je t’ai reconnue y’a pas cinq minutes. Je t’aurais bien saluée avant, mais t’avais l’air occupée… » Légère gêne feinte du côté du jeune homme. Quitte à passer pour un stalker, autant que ça donne l’impression que ça partait d’une bonne intention tout à fait innocente et un peu simplette. « Un rancard qui a mal tourné ? »

Spoiler:

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Elle était méfiante, pressée et sur ses gardes. Un peu trop pour que la conduite de Luli soit celle d’une personne lambda. Do Jin pouvait admettre que les rues soient un milieu peu enviable ou fréquentable pour les jeunes femmes… Pourtant, la conduite de sa vis-à-vis ne pouvaient que renforcer l’impression qu’il avait rencontré la Chinoise : elle était mêlée à des affaires pas très nettes. Des affaires qui lui, l’intéressaient à titre personnel. Mais vu la conduite de la jeune femme, il allait être difficile de lui faire avouer quoi que ce soit. Peu importait. Il avait du temps devant lui.

La jeune femme sembla se détendre un peu aux hypothèses de Do Jin. A son tour, il eut un petit sourire amusé. « Le pote d’un pote qui a supposé des atomes crochus entre vous ? » demanda-t-il, avant de poursuivre immédiatement : « Vu la tronche que tu tirais, j’imagine qu’il a compris que tu cherchais pas vraiment à le revoir… » Sourire arquant ses lèvres, Do Jin revint à une expression bien plus neutre aux nouvelles paroles de Luli. Il feignit une petite moue. « Je sais pas, je suis juste curieux. » admit-il en haussant les épaules. « Rien de particulier. On peut faire un bout de chemin ensemble ? » Et comme pour plaider sa cause : « Je serai toujours plus dissuasif que ton truc, là. » ajouta-t-il avec un petit sourire, tout en ayant un mouvement de tête pour désigner la bombe à poivre.

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Le garçon n’était pas dupe. Il se doutait que la conversation – ou plutôt, le monologue – que subissait la jeune femme tout à l’heure ne tenait en rien du rancard. Ou alors… Le pire rancard du monde, mais bon. Do Jin avait assurément de gros doutes sur la question, et se doutait que la Chinoise était davantage dans le coin par obligation que par plaisir. Restait à savoir pour quelle obligation. Au moins, Luli semblait se détendre légèrement aux hypothèses naïves du Coréen. C’était déjà ça. Il laissa un soupir amusé filtré ses lèvres, secouant un peu la tête, tentant de faire comprendre qu’il voyait où elle voulait en venir. Elle ajouta sur le même ton qu’elle pour rien au monde elle ne souhaiterait revoir celui qui lui tenait la jambe quelques instants auparavant. « Si tu lui as dit, y’a pas de raisons. » répondit son vis-à-vis. Ce qu’il cherchait à savoir pour l’heure, c’était les raisons réelles de cette entrevue. Mais c’était difficile de procéder sans être indiscret. Ou alors… « Ou sinon je te passe mon numéro, et si ce gros relou te lâche pas, tu m’appelles. » ajouta-t-il finalement, non sans adresser un clin d’œil complice à la jeune femme. Et tant pis si ça faisait vraiment dragueur de bas étage, il pouvait toujours prétexter une taquinerie un peu déplacée. Tous les moyens pouvaient être bons pour tirer les vers du nez, en ce moment. Se montrer « bienveillant » pouvait éventuellement jouer en cette faveur, même si cette proposition pouvait sembler parfaitement incongrue. Luli jeta un coup d’œil à sa montre. « T'es pressée ? » s’enquit aussitôt Do Jin, avant de voir sa proposition acceptée. Il opina. « Tu vas dans quel coin, du coup ? » Et histoire faire un peu la conversation : « J’vais vers Itaewon normalement, vu que je vis là-bas. Mais ça m’dérange pas de faire un détour. »  

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Même si Luli semblait plus prompte à baisser sa garde, Do Jin fut étonné de voir sa proposition acceptée. Il avait un peu lancé ça comme ça, sans trop réfléchir, s’attendant plus à essuyer un refus ou une excuse quelconque qu’autre chose. Mais non. La jeune femme sortit crayon et papier de son petit sac, demandant à son vis-à-vis d’y noter son numéro. Le Coréen s’exécuta, sans mot dire. Relevant les yeux vers elle, il tendit le papier : « Tu as le tien en tête ? » demanda-t-il, un peu à tâtons. Il avait encore quelques doutes. Peut-être avait-elle seulement accepté pour être polie, ou pour une raison plus obscure. Quoi qu’il en soit, il avait du mal à imaginer Luli l’appeler. De fait, autant tenter de prendre les devants.

La Chinoise confirma qu’elle n’avait que peu de temps devant elle. Le garçon acquiesça, avant de demander « Tu dois rejoindre quelqu’un ? », tout en accélérant le pas. Qui sait. Peut-être qu’en se faisant discret, il pourrait tenter de filer sur une courte distance pour en apprendre plus ? Quant à la destination, elle lui sembla plutôt incertaine. Do Jin la regarda en coin, haussant un sourcil. Il était perplexe, pensif. « T’as pas l’air bien sûre de toi… » marmonna-t-il, plus pour lui-même qu’autre chose. « J’te laisserai à l’angle du garage Oh. Ça te va ? »

Hors Jeu:

JE NE DIRAI RIEN ★ FEAT. LULI

Elle ne l’avait jamais retenu, hein… Do Jin n’était pas surpris d’entendre une excuse dans le genre, évitant ainsi à Luli de donner son numéro de téléphone. Quelque part, il se disait qu’elle devait avoir une bonne raison pour ne pas le faire. Mais c’était terriblement frustrant de ne pas pouvoir la contacter quand bon lui semblerait, puisqu’il était convaincu qu’elle pouvait lui en dire beaucoup au sujet des terroristes. Tant pis si ça prendrait du temps. Il aurait au moins eut l'impression d’avancer, ne serait-ce que d’un tout petit pas en avant. Mais là… Ca allait devenir compliqué de tirer les vers du nez de la Chinoise, si celle-ci parvenait à s’esquiver, pour des raisons qu’il ignorait plus ou moins. Car si elle était bel et bien liée aux terroristes comme il le soupçonnait, il supposait qu’elle ne devait pas être totalement libre de ses mouvements. Surtout envers des inconnus qui auraient tendance à lui accorder un peu trop d’intérêt, comme le faisait Do Jin.

Pourtant, elle affirma qu’elle ne manquerait pas de l’appeler. Do Jin acquiesça, faignant un sourire. Il n’y croyait pas vraiment, pour les mêmes raisons précédemment évoquées. Et pour l’heure, il était un peu trop agacé envers lui-même et envers Luli pour bien vouloir lui accorder le bénéfice du doute. Ils firent donc le chemin en silence. Le point d’arrivée fut atteint en quelques minutes. La jeune femme salua, toujours peu expansive. Un dernier sourire adressé, le Coréen haussa la main pour faire un signe, continuant à marcher. « A la prochaine. » Quelques mètres plus loin, il fit mine d’entrer dans une boutique. Non sans rester près de la vitre, pour mieux épier l’endroit de loin où Luli se rendait. Il n’allait pas laisser filer cette nouvelle occasion.