Tao est assis, les jambes croisés, un bras contre la table, son autre main touillant consciencieusement la cuillère dans sa tasse de café. Le chinois reste calme, imperturbable dans ce silence pesant. En face de lui, une jolie blonde le fixe puis parfois soupire et regarde par la fenêtre. Son regard est poétique, voilà ce que pense le terroriste. C'est ce qu'il y a de plus beau chez elle. Oh, qu'on ne se méprenne pas! Tao n'est pas amoureux d'elle mais en ce moment, il ressent quelque chose comme de la peur quand il pense à elle. Lim Kaena. On peut pas dire que ça résonne bien dans les oreilles, c'est même un peu cassant. Un nom et un prénom explosif, tranchant, comme peut l'être la femme qui le porte. Pourquoi de la peur? C'est pas très compliqué. Tao a toujours été habitué à ne ressentir que de la colère et de la satisfaction, il s'est interdit tout autre forme d'émotion et à force, il les a perdu. Mais en côtoyant Kaena, il s'est mis à ressentir quelque chose qui ressemble fort à de l'amitié pour la demoiselle et cela, il ne peut se le permettre. Déjà, parce que c'est trop dangereux par rapport à la fonction qu'il occupe mais aussi, parce qu'il ne sait plus gérer ça depuis un bon nombre d'années.

C'est à son tour de soupirer. Toujours du silence? Encore du silence. Cela ne devrait pas l'agacer, il aime ça, le calme imperturbable du non bruit, de la mort. Mais un silence de mort entre deux vivants ça n'est pas supportable. Il sait pourquoi elle est si froide soudainement, nier ceci serait une pure folie. Il l'a trahie, non sans scrupule. Le chinois est encore sûr et certain que c'est pour le bien de Kaena. Elle doit se rendre compte que rejoindre les terroristes est la meilleure chose à faire pour elle. Après tout, ils partagent la même vision des choses tous deux, alors pourquoi Kaena ne veut pas le rejoindre? « Bon » Il faut rompre ce silence glacial. « J'ai pas que ça à faire donc accouche s'il te plait. » Il ne s'excusera pas, elle sait déjà pourquoi il a fait ça, alors qu'elle l'accepte.

A ce moment même Kaena pourrait être partout ailleurs. Ou plutôt la blonde aimerait être partout ailleurs. Son regard se perd sur cette fenêtre, sur l'extérieur parce que quand il se pose sur le chinois sa rancœur cogne à l'intérieur de son cœur. Elle soupire et regarde à nouveau dehors. Ses yeux et son visage expriment la froideur. Tout le contraire d'une demi heure avant, elle se demande encore comment elle a pu perdre autant son sang froid en proposant à Tao de venir. La lucidité face aux sentiments, elle sait se maîtriser. Elle sait, mais trente minutes auparavant elle ne savait plus. Et maintenant elle se retrouve devant son, elle ne sait même plus quel mot utiliser pour le qualifier, ancien ami ? et elle n'a rien à lui dire. Ou plutôt elle connait déjà toutes les réponses à ses questions. Elle est intelligente, elle sait déjà tout.

Elle sait ce qu'il pense, elle sait pourquoi il a fait ça, elle sait qu'il s'excusera pas. Elle sait, elle en sait beaucoup. Et il est bien là le problème. C'est même pour ça qu'elle s'est laissée aller à la déception en se sachant trahie. Et ça aussi elle le sait mais elle ne peut pas s'empêcher de s'interroger. Parce que c'est toutes ses convictions qui en ont pris un coup. Elle n'a pas perdu espoir en tout ce qu'elle croit mais ... Mais. Un nouveau soupir, pas le sien. Le café devant elle est froid, elle n'y a pas touché. Le brun rompt le silence glacial. Le regard de Kaena se fait plus froid que jamais. Alors c'est bon ? Le lien qui les rapprochait est définitivement brisé ? « Tes méthodes n'ont aucune valeur sur l'avenir. » Elle s'explique. « Tu trahis, alors ils te trahiront tous un jour où l'autre. Dans le présent tu es menaçant, beaucoup ont peur de toi mais dans quelques années il ne te restera plus rien. Plus de terroristes, plus personne. » C'est certainement sa dernière discussion avec lui alors jusqu'à la fin elle tentera de lui prouver que ce chemin ne mène nul part.

Piqué. Voilà ce qu'il ressent. Les mots de la blonde sont telles de petites piqûres de moustiques, qui démangent et qui agacent. Tao ne supporte pas ces paroles car pour lui, elles n'ont aucun sens ou plutôt, n'ont aucune importance. La trahison ne lui fait pas peur. Il fait payer aux traitres et se trouvent de nouveaux alliés temporaires. Comment peut-on craindre la trahison quand soit-même, on trahit naturellement, parce que l'on considère cela comme une des modalités de la vie, et de la conception d'une nouvelle société? C'est ainsi, le chinois est prêt à tout pour atteindre son objectif, et se faire abandonner n'est ni une éventualité effrayante ni une éventualité possible. Quand certains partent, d'autres arrivent de ce fait, « Les terroristes ne m'appartiennent pas. » Ton sec, véridique, plaquant. Tao n'a rien, il ne peut rien perdre. Enfin, c'est ce qu'il se dit, qu'il se ment puisqu'il vient de se faire perdre Kaena. Il possède l'organisation terroriste, certes, mais Tao est tellement déterminé que si on la lui enlevait, il réussirait par un autre moyen à faire chier le gouvernement et à faire régner la terreur. Tant qu'il lui reste sa folie et sa colère, le chinois peut tout faire, il en est convaincu. « Et c'est justement parce qu'ils n'appartiennent à personne qu'il y en aura toujours. Qu'ils me suivent ou non. » Il se stoppe un moment avant de planter son regard déterminé dans celui de Kaena. « Il n'empêche que mes méthodes sont bien plus efficaces que les tiennes sur le présent. » Or, un changement dans le présent se répercute sur le futur. Il soupire avant de fixer la foule qui passe derrière la fenêtre. « Tu devrais me rejoindre, on plaide les mêmes choses. Tes méthodes sont inutiles. Les gens n'écoutent que s'ils ont peur. » Ils changent qu'après un choc, et ce choc c'est Tao et son organisation qui le mettent en place.

La colère monte, elle monte et ne s'arrête pas. La blonde n'est pas colérique donc seul son regard auparavant froid exprime cette colère intérieure. Elle a déjà entendu ses mots plusieurs fois mais là c'est différent. Là il l'a trahie et cette fois les paroles ont un goût beaucoup plus amer. Elle a l'impression qu'ils ne sont que deux ici. Tous les gens autour n'ont plus d'importance. Encore heureux que les terroristes ne lui appartiennent pas, manquerait plus qu'il dise le contraire. Elle ne supporte pas le ton qu'il utilise. Sous la table son pied tape contre le sol, elle perd patience. L'argument ne la convint absolument pas et elle a l'impression de perdre son temps. Elle est victime d'une trahison pourquoi ne pas arrêter d'insister. S'ils sont ici à avoir cette discussion c'est à cause d'elle, c'est ce qu'elle se dit une seconde avant de se reprendre.

Non, ce n'est absolument pas à cause d'elle, elle n'a rien fait de mal et il devrait avoir honte. « Utiliser la peur pour imposer ton point de vue. Je ne vois absolument pas ce qu'il y a d'efficace avec un comportement de dictateur. » Elle insiste sur le dernier mot. Jouer sur la peur c'est bien tout ce qu'elle déteste. Avec les personnes qui veulent imposer leur point de vue à tout le monde. « Le jour où les gens seront trop fatigués d'avoir peur et qu'ils se révolteront tu verras que ton présent n'aura aucune importance. » Combien sont-ils à avoir tellement perdus qu'ils ne sont plus à ça près. C'est ainsi que naisse les révolutions. Le présent est tellement instable. Se sont tes méthodes qui sont inutiles, voilà ce qu'on peut lire à l'instant dans ses yeux. Elle se demande aussi ce qu'il espère construire avec des gens qui suivent et qui partent à tout va. Elle reprend et on peut lire de la déception dans sa voix. « Je ne suis plus sûre que tu plaides les même choses que moi. » Elle ne sait plus ce qu'elle fait ici, pourquoi elle ne se lève pas de sa chaise et lui tourne définitivement le dos. Et surtout elle n'est plus sûre d'avoir réellement connu cet homme en face d'elle, Tao.  

Cette discussion est agaçante car aucun des deux côtés ne cèdent. Tao, tout autant que Kaena, est buté et ne compte pas réviser ses pensées. Déçu, son regard reste néanmoins planté sur le visage de la demoiselle. Le Chinois aurait tellement apprécié l'avoir dans ses rangs, elle, la belle et charismatique Kaena. Mais il n'en sera jamais ainsi. C'est assez étrange mais, même si leur point de vue divergent et qu'ils ne seront plus capable de se parler amicalement, le terroriste ne pourra jamais l'insulter. Parce qu'elle a été l'une des premières à le comprendre, à savoir ce qu'est ce sentiment constant d'être injustement jugé. Ils n'ont pas les mêmes manières d'agir et c'est dommage, pense-t-il. Ses bras se croisent, son dos s'appuie contre le dossier de la chaise, tandis qu'un goût amer réside au travers de sa gorge. Il n'a pas eu le choix d'agir comme il l'a fait et même si cela a foiré, cela a au moins permis de mettre au clair leur relation. Ils n'étaient, finalement, pas destinés à s'entendre toute une vie.

« C'est la seule manière pour qu'un peuple entier, pour qu'un gouvernement aveugle et trop fier, t'écoutent. Et ma foi, c'est efficace. Je réduis à néant le gouvernement, le peuple se rebelle d'abord contre lui, et je verrai le reste plus tard. » Et qui sait, c'est peut-être déjà prévu mais il est désormais hors de question qu'il en dise plus à Kaena, elle qui est passée du côté opposé. Le brun soupire avant de se masser la nuque. « Quand ce jour là arrivera, ne souris pas trop, n'espère même pas rire Kaena, il me suffira d'un geste de la main, comme une brindille qu'on éjecte, pour les faire changer d'avis. » Les troupes des terroristes augmentent de jour en jour, les gens comprennent peu à peu vers quel camp se rendre. La force de frappe, elle aussi augmente petit à petit. Tao n'a pas peur. Sans être trop sûr de lui, il sait à quoi il peut s'attendre plus tard. Il envisage tout ce qui est possible d'envisager. Ça serait trop risqué d'avancer à l'aveugle. Un nouveau soupire alors que Kaena estime qu'ils n'ont plus les mêmes valeurs. « Je n'en suis plus sûr non plus. » Finalement, il se lève, ils n'ont plus grand chose à se dire. Mais avant de partir, il pose de la monnaie sur la table pour payer sa boisson et ajoute : « Tu as beau croire que ton association n'est pas liée à mon organisation, mais je saurais utiliser vos actions pour le bien de nos actions. Et fais gaffe à ce que tu dis, la brigade n'a pas eu besoin de mon aide pour t'avoir dans le collimateur. Sur ce. Il vaut mieux que l'on ne se recroise jamais. »