Elle a toujours voulu s’engager, Sa Rang, elle est née pour ça. De toute façon, elle est folle, vaut mieux qu’elle soit contre l’ennemi qu’avec eux non ?
« Trente-cinq, trente-six, trente-sept »
A la 36ème minute, ils sortiront, tu les abats et t’hésite pas. Tu tires, c’est tout. Tu te rappelles, tu protèges la nation, tu protèges les autres.
T’es née pour ça Sa Rang. Née pour ça.
« Cent-vingt, cent-vingt et un, cent-vingt et deux »
C’était le bruit de la mécanique de ta montre, tu l’entendais résonner. Trop fort, ils allaient l’entendre, ils allaient te démasquer, t’allais mourir. Mais vous savez ce qu’on dit au dieu de la mort ? Pas maintenant.
Sauf que tu n’avais pas de montre.
Pourtant tu les entendais les tic-tic s’égrenant, comme lorsque t’étais petite, dans la cuisine, à faire tes devoirs. La vieille horloge murale qui n’arrêtait pas, tu lâchais tes devoirs pour ne te focaliser que sur le rythme de la mécanique. C’était un balancement lent, doux, régulier, qui ne défaillait pas. Tu te balançais lentement, ça a quelque chose d’apaisant de se balancer, comme si tous les problèmes s’envolaient. Juste parce que ton corps se mouvait d’avant en arrière, avant en arrière, avant en arrière.
Mais faut pas bouger quand on abat une cible, faut rester calme, vider son souffle et son esprit, rien d’autre à penser.
« cent cinquante-huit, cent cinquante-neuf »
Née à Séoul, dans un petit appartement. Petit, minuscule, renfermé et qui sentait le vieux chat mort. C’est toi qui l’avait tué, il avait miaulé trop fort, il devait pas miauler fort, un chat ne miaule pas fort. Il faut pas faire de bruit, il faut rester stable, calme, vide.
Pourtant ses parents sont normaux, capitaine ? Je comprends pas qu’elle déraille à ce point. Je comprends même pas qu'elle se soit engagée. Tout le monde ici est là, parce qu’ils ont un parent dans la police, parce qu’ils sont forcés, ou je sais pas. Elle, elle est venue, elle a pris votre revolver et a tiré sur deux oiseaux avant de demander si elle avait fait ses preuves et pouvait devenir sergent. Elle voulait entrer à Arès en plus. Ça aurait pu marcher, elle était venue les cheveux quasiment rasés, des lunettes de soleil, des vêtements amples. On m’a dit qu’un gars de la compagnie l’a chopé pendant qu’elle se changeait et a vite compris son stratagème, l’a dénoncé. Ça m’étonne encore qu’elle l’ai pas… Vous auriez dû la virer capitaine, mais vous aviez trop peur qu’elle devienne une terroriste. Pourtant elle vous a dit qu’elle est là pour son devoir, pour sauver la nation. Mais quand même, si un jour on apprend qu’elle les rejoints... Ça sera vraiment vraiment pas une surprise
Née pour tuer, née pour anéantir, née pour exterminer, neutraliser, annihiler. Née pour ça. Folle à lier, folle à tuer.
Tu te rappelles la première fois que t’a tué un animal ? Ça avait l’air d’être normal. Il était apaisé. C’était normal. Il était tombé du nid, tous les enfants de ta classe s’étaient rassemblés, t’a pris une pierre, plus d’oiseau. C’était une fin nette, immédiate, indolore, c’était ce qu’il fallait faire. Tu ne comprenais pas qu’ils disent que c’était mal, pour toi, tu lui avais sauvé la vie. Tu lui as abrégé ses souffrance : c’est une forme de sauvetage.
Puis les profs avaient déjà commencé à essayer de s’occuper de toi. Des avertissements à tes parents, tes parents, mais quels parents ? Ta génitrice était divorcée et remariée, elle en était à son 6ème essai. Ton géniteur était avec une fille beaucoup plus jeune, c’était la cause à la fin du mariage des géniteurs. Ton géniteur te gardait le week-end, ta génitrice la semaine. Elle gardait aussi John, et Mary, et Anh Hee, et Yuri, et Tae Hyuk, et Eun Jung, et Xiao Lu, et d’autres dont le nom t’échappe. Dedans y’avait ses enfants, tes demi-frères et sœurs, mais surtout, les enfants de la crèche. T’étais mélangée à eux, t’étais une parmi les autres. Tu comprenais qu’elle se trompe dans ton prénom pendant que toi non, tu trouvais ça normal.
Ton géniteur ne trouvait pas ça normal, il trouvait ça inconcevable. Lui, il te faisait garder par la jeune avec qui il baisait, ça résolvait le problème. Tu voyais toujours pas le problème, tu l’aimais bien elle, elle te laissait abréger les souffrances des poissons rouge chaque semaine et en remettais un pour toi à chaque fois.
Mais les animaux n’étaient pas suffisants. Tu voulais voir plus grand, aider plus fort, sauver l’Humanité. Tu comprends pas les gens qui croient que c’est une cause bidon, que c’est une simple raison pour tuer. Tu les aides, tu accomplis ton devoir, tu te rends utile, et c’est comme ça qu’on te remercie.
Pour ça tu t’es mises à apprendre tout ce que tu jugeais nécessaire, tu cherchais sans relâche la manière la plus utile de sauver les Autres. Et alors tu t’es découverte une passion, adolescente, pour les armes à feu. Rapide, efficace, précis, concis. T’appuies sur la gâchette, le travail est fait. Tu t’entrainais avec des armes soft, des pistolets pour paint ball, tu visais la jeune qui essayait d’éviter les tirs avant de s’en prendre dans sa jambe. Tu l’aimais bien, elle t’aidait à servir ta cause, elle se soignait chaque semaine pour que tu puisses continuer. Enfin, c’est ce que tu croyais, c’était pareil qu’elle se soigne ou non, il suffisait de tirer sur la cible.
A ce moment-là, ça avait mal tourné, tu t’es rapprochée d’un gang local de dealer et de voyous de bas-étage, tu avais déjà essayé de leur prendre des armes sans réel succès, ils voulaient t’emmener dans un coup contre l’état, le capitalisme, les choses importantes, une banque au hasard dans la grande ville. T’a pas aimé, tu t’es embrouillée, t’es partie… Sur le toit de l’immeuble. T’a visé, t’a tiré, un est mort, deux étaient blessés. Le reste était parti ou s’était défendu, tu sais plus. Des lâches, rien que des lâches, qui méritaient de mourir, c’était normal. Personne n’allait les sauver de toute façon, tu venais de le faire, la police allait pas enquêter sur de la merde comme eux. Tu te souviens cette nuit, ton sourire quand tu leur as annoncé que tu ne venais pas, ta joie quand tu es montée, contente de pouvoir te rendre utile, d’éliminer de la vermine.
Mais tu fais pas justice toi-même, tu rends ta vision des choses, tu aides la cause. Les études de police ne t’intéressais pas, tu grandissais et savait que l’uniforme bleu est pas fait à ta taille, et puis trop de paperasse, ils ne servent même pas les autres, ils sont soumis, ils doivent juste protéger, c’est pas de la vrai aide ça, ils sont passifs et attendent que ça se passe. Tu vivais grâce aux revenus de ta jumelle.
La coutume veux qu’il y ait un jumeau plus bon que l’autre n’est-ce pas ? Tu t’en fous d’où viennent son fric, tu le prends, ça sert à tes besoins. Tu vie chez elle mais tu passes ton temps à la bibliothèque où tu empruntes chaque semaine des livres techniques, catégorie armée. Vous vivez chacune de votre côté dans le même petit appartement, vous vous ressemblez physiquement, mais elle n’est peut-être pas aussi folle que toi. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est elle, le bon jumeau. Mais t’ignores tout d’elle, et ça vaut mieux, parce que si un jour t’apprends qu’elle fait partie des dealers de bas étage de ta jeunesse, tu réagiras peut-être pas super bien. En attendant, tu préfères ignorer ce qu’elle fait et elle, elle te surveille de loin. Elle t’aide parce que ça a toujours était comme ça, toi qui t’empêtrait dans ta cause et elle qui réparait les dégâts, mais c’est pas un ange gardien. Elle cherche pas à te remettre dans le droit chemin. Ça l’amuse de te voir faire ça, pour tout te dire. Vous vous supportez et vous compensez, en quelque sorte.
S’ensuit l’inscription à Arès ou plutôt Athéna, le parcours très court parmi les rangs de l’académie, tu n’étais pas la plus douée, la plus appréciée, mais peut être la plus crainte. T’a commencé à tout mettre sur le dos de ta cause, et c’est parti en vrille parce qu’il fallait pas tirer sur ses acolytes et que t’a failli faire découvrir le réel intérêt d’Athéna, on t’a envoyé à la brigade.
« Deux mille cent cinquante-huit, deux mille cent cinquante-neuf, deux mille cent soixante. »
La fin, tu tires, la jeune est morte pour ta cause. Tout le monde mourait pour ta cause. Comme les terroristes sous ton viseur, abattus à terre. Des mouches et du vinaigre.
Elle était décédée dans un accident de voiture, alors qu’elle allait faire ses courses. Il faut penser à fermer sa fenêtre en été, des fous peuvent très bien tirer sur des cibles au feu rouge. Des cibles, tel des oiseaux qui tombent tout seul sur des voitures, qui effraient le conducteur, conducteur qui va loger sa voiture contre le mur le plus proche, plus de conducteur. Ta jumelle la détestait, tu avais aidé ta jumelle, c’était généreux de ta part, normal.
C’était ce jour-là que t’avais choisi le nom de « A ». T’étais l’anonyme qui tire de loin pour certains, d’autres te considéraient comme le plan A, le seul et unique, parce qu’une fois que tu passes l’affaire est réglée, t’es assez efficace. En vrai t’a choisi cette lettre parce que c’était la première de l’alphabet latin, tu trouvais ça classe, et puis c'était ce jour que ton boss t'a obligé à choisir un nom de code, définitif, parce que t'en changeais tout le temps. Si t’avais vu un panneau avec marqué « Colgate fraîcheur ultime », tu te serais aussi très bien appelé ainsi, mais le destin t’a aidé sur ce coup.
Elle est complètement timbrée, folle, vous appelez ça comme vous le voulez. Elle croit qu’elle a une mission ultime, qu’elle doit sauver les autres, c’est pour ça qu’elle est à la brigade. Enfin ça c’est un secret pour personne.
Ses collègues, sa jumelle et son boss essayent de lui refiler des médicaments en douce pour la calmer, c’est pour ça aussi qu’elle est lunatique, mais ça elle le sait pas.
Elle se ronge pas mal les ongles aussi. Elle essaye d'arrêter, ça c'est un bon secret lourd non ?